Alice'Syndrome
Imaginer, c'est hausser le réel d'un ton.
Gaston Bachelard
Du roman de Lewis Carroll au spectacle « Alice'Syndrome », le chemin fut certes long, mais tout aussi passionnant. La vision neuve et originale que Vanessa Bortoluzzi nous apporta du conte d'Alice nous fit entrevoir les multiples possibilités d'adaptation que cette oeuvre recelait. Mais au lieu de « simplement » transposer histoire et personnages de manière contemporaine, comme cela se fait parfois lors de la relecture d'un mythe, nous n'avons délibérément conservé que l'essence même de l'oeuvre, voilée de nos jours par l'image enfantine et farfelue véhiculée par Disney auprès des masses.
Or, bien que certaines de nos idées prennent en effet racine dans le dessin animé en question, il nous fallait rompre au plus vite avec l'imagerie traditionnelle que se font les gens d'Alice au pays des Merveilles. Cette scission eut le désavantage de nous plonger dans une activité créatrice pour laquelle nous n'avions que peu de matière première, mais elle nous laissait en contrepartie une liberté quasi absolue quant à la réécriture, sans quoi notre réflexion s'en serait trouvée limitée. Désormais libres, nous pouvions exploiter les messages présents dans l'oeuvre selon notre bon vouloir.
Le principal d'entre eux, qui motiva essentiellement notre recherche , est le thème de l'illusion, plus particulièrement cette illusion intime que l'on conserve comme un trésor. En effet, sous le couvert d'une fausse attaque de la naïveté enfantine, la pièce dénonce en grande partie ce « déclin du mensonge » qui s'opère, entre autres, lors du passage de l'enfance à l'adolescence. L'expression utilisée n'est pas innocente puisqu'elle rappelle l'oeuvre du même nom, dans laquelle Oscar Wilde critique violemment l'initiative naturaliste en littérature qui consistait à dépeindre le réel de manière objective.
Pour entrer dans la vie, l'homme se doit certes d'abandonner ses illusions pour embrasser pleinement la réalité. Malheureusement, une autre illusion se loge alors dans son coeur : celle de croire qu'il n'a guère besoin d'illusion pour vivre. Car l'existence est parsemée de trous béants par lesquels s'engouffre le bonheur. Il s'agit de les colmater par notre imagination.
Cette pièce se veut donc un éloge du mensonge, dans la mesure où ce dernier représente cette fine pellicule de rêve que l'on dépose sur la vie pour l'embellir, et non un vil procédé pour troquer la vérité à son profit . C'est apprendre à regarder le monde sous un angle nouveau, c'est « rouvrir » les yeux. Le spectateur sera amené à voyager parmi divers moments de l'existence , même les plus coutumiers, où s'opère cette fracture, entre réel et illusion, tantôt de manière anecdotique et légère, tantôt de façon virulente et inéluctable. Fracture qui, souvent, sera illustrée par vidéos, textes et images projetés en fond de scène. L'utilisation du multimédia nous a permis d'agrémenter le spectacle d'une touche de modernité, mais elle ne remplit pas uniquement une fonction esthétique. Elle représente également ces quantités de « vérités » assommantes, psalmodiées par les grands dans notre enfonce. Celles-ci, collées sur du papier sans relief ni nuance, ici projetées en 2 dimensions, se confrontent constamment à une réalité tout autre, en 3 dimensions, qui n'arrive pas à s'y imbriquer. Loin de faire un énième mauvais procès à la télévision, cette approche de l'information iconographique et textuelle enjoint cependant le spectateur à prendre une distance par rapport aux conclusions qu'il peut tirer d'une image ou d'une phrase, créées dans une dimension tout autre que celle dans laquelle évoluent les récepteurs que nous sommes.
Nous espérons que la déception de ne pas retrouver la téméraire petite écervelée en robe bleue vous aura passé. Que l'on se rassure cependant: bien que la pièce traite du « syndrome Alice », ce n'est pas de la psychanalyse de comptoir que nous vous soumettrons. Comme il existe le syndrome de Peter Pan, celui d'Alice consiste en ce passage du douloureux miroir que l'homme traverse pour rejoindre ses contemporains, mais dont il reste prisonnier jusqu'à ce qu'il comprenne que le miroir n'existait pas.
Perdu entre son éducation, sa réalité et ses rêves, l'être humain se doit d'appliquer une savante alchimie entre ces éléments dans sa propre vie pour ne pas succomber.
Charles-Henry Boland
Année
2005
Jeu
Amandine Blaffart
Charles-Henry Boland
Audrey Davis
Emilie Degreef
Raphaël de Mevius
Maxence Dumont
Alice d’Ursel
Amandine Jacques
Alizé Jonckheere
Jessica Monson
Laetitia Parma
Emilie Ronsmans
Jennifer Van Lancker
Mise en scène
Vanessa Bortoluzzi
Réalisation et régie multimédia
Xavier Portela
Régie son
Catherine Jacques
Régie lumières
Emmanuel Guillaume
Création collective des élèves de « sixième Arts d’expression » de Notre-Dame des Champs à Uccle, librement inspirée d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll