La femme-cible et ses dix amants

Des destins brisés, il semble bien qu’il y en ait aussi, à foison, dans La femme-cible et ses dix amants. Une fête foraine s’installant sur une place publique, une « Maison des Horreurs », un « inspecteur chargé de la sécurité des installations foraines », une « femme qui a un couteau enfoncé dans l’œil gauche », un « Animal qui ressemble parfaitement à l’homme », et – abrégeons – un flot de personnages soumis à la menace d’une gomme géante, à leur propre délire, disparaissant, réapparaissant, se posant la question – et la posant au lecteur/spectateur : « Vous êtes plutôt chaussure ou plutôt parapluie ? » ; question qui, sous des dehors déconcertants, pose celle de la mémoire et de la vision du monde. Au milieu du désordre grandguignolesque, un « conteur » vient périodiquement tenter de faire le point, de donner des nouvelles des disparus, de nous faire retrouver l’ordre des choses et du temps.
Le théâtre de Matéi Visniec joue avec la tradition, en s’appuyant, ici, sur Shakespeare, Tchekhov, le Grand Guignol (ou le théâtre surréaliste d’un Roger Vitrac, par exemple) ; il joue au sens plein du terme, dans un esprit ludique certes, mais aussi théâtralement, littérairement, le plus sérieusement du monde. Et dans cet hommage distancié, dans cette perpétuation incessante de la dramaturgie, se crée un théâtre nouveau, polyphonique, résolument moderne. 

Texte de Jean-Pierre Longre – Sitarmag, cité sur le site http://www.visniec.com

Matéi Visniec

Né en Roumanie, en 1956, Matéi Visniec découvre très vite dans la littérature un espace de liberté. Il se nourrit de Kafka, Dostoïevski, Poe, Lautréamont... Plus tard, parti à Bucarest pour étudier la philosophie, il devient très actif au sein de la génération 80 qui a bouleversé le paysage poétique et littéraire de la Roumanie de l’époque. Avant 1987, il s’affirme dans son pays avec sa poésie épurée, lucide, écrite à l’acide. A partir de 1977, il commence aussi à écrire des pièces de théâtre qui circulent abondamment dans le milieu littéraire, mais restent interdites de création.

En septembre 1987, il quitte la Roumanie, arrive en France, demande l’asile politique, commence à écrire en français et travaille pour Radio France Internationale.

A ce jour, de nombreuses créations en France ; une quinzaine de ses pièces écrites en français sont éditées. Il a aussi été à l’affiche dans une vingtaine de pays. Après la chute du régime communiste, il est devenu l’un des auteurs les plus joués en Roumanie.

Le lanceur de couteaux ivre :
La robe rouge, elle ne la met que pour ses amants. Jamais pour moi. Et les sandales rouges, pareil. Que pour ses amants. Jamais pour moi. Le parfum que vous sentez... Vous sentez ? ... C’est le parfum pour ses amants. Et les grandes boucles d’oreilles, pareil, c’est les boucles d’oreilles pour ses amants. Et tout ça, acheté par moi. Voilà, c’est comme ça qu’elle part la nuit, juste après minuit, chez ses amants. Vous l’avez vue ? Elle a dix amants dans cette ville, comme dans chaque ville, et elle le voit tous. Elle leur fait l’amour à tous, jusqu’à l’aube, quand elle rentre pour me préparer le café. parce que moi, au réveil, j’ai besoin d’un café préparé par elle... Par elle et seulement par elle... Parce qu’autrement je ne me réveille pas... Parce qu’autrement je risque de ne jamais me réveiller...

Année
2008 - 2009

Mise en scène
Vanessa Bortoluzzi

Univers sonore
Maxime Deckers

Affiche
Ariel