Dissiper Kafka
Présentation: (en cours)
Un projet de la classe de sixième arts d'expression de Notre-Dame des Champs réalisé dans le cadre de la Cellule Culture-Enseignement.
Récupérer la vidéo originale https://player.vimeo.com/video/51278323
Qui ne modifierait ses plans de voyages et d’avenir, même s’il est en pleine route, en présence de mon terrier ?
Franz Kafka
« Il y a bien une fois où j’ai pu partir. C’était en l’an 1883. Et depuis lors, je n’ai cessé de revenir – sans vraiment y parvenir. Sans arrêt de mort, il m’était impossible de céder la place et même, de l’occuper entière. Je n’existe pour à peu près personne. Un rien me sépare de vous. Tout juste une mince feuille de papier. Tremblez sous la menace car, je ne sortirai jamais d’ici. J’infeste. Impossible de me fixer comme une de ces foutues images avec lesquelles vous essayez tant bien que mal de me saisir pour mieux me projeter hors de votre vue. Je suis si intime à chacun de vous, si intime, qu’à me lire, je vous viole. Quelle ânerie ce livre ? En êtes-vous certains ? Pouvez-vous m’oublier ? Non ? Alors, je suis entré.
Que vais-je bien faire de vous, puisque, de vous à moi, vous ne pouvez rien. Lisez, analysez, brûlez, parlez-en, torchez-vous le cul avec ces pages, que m’importe, je surgirai toujours. Toujours ailleurs. Chaque fois que l’un d’entre vous tourne l’une de ces pages, je recule plus loin. Jusqu’à l’horizon, patientant, attendant le lever d’un nouveau jour. Celui qui saura me mettre en lumière de façon inédite. Ce sera un jeudi, par quelqu’un qui m’écoutera au-lieu de ricaner et de tourner l’impossible en ridicule. Je doute que vous sachiez vous taire pour entendre l’éloquence de l’inachèvement… la suspension de votre être, toujours en attente, même après la mort… surtout après. Finalement, tout dépend de vous et de votre résistance face à ma défense. Je suis là, viral. J’attends. Aucun vaccin ne viendra jamais à bout de ce que je dis. Aucune couverture ne réchauffera ma parole. Vous le devineriez si seulement vous étiez un peu plus attentif. Un peu plus patient. Je m’occuperais du reste. Au plus on me lit, au plus on me cache, au plus quelqu’un aura de chance de me trouver. Oui, le génie qui me lira, le fera avec légèreté. Une ligne va venir le chercher, personnellement. Une accroche, quelque chose que l’on n’a pas lu, mais que toi seul entendra. Où cela va-t-il t’amener ? Au plus près de l’auteur. De sa voix. Sa trace. Déjà, il file. Jamais tu ne l’arrêteras, sois prévenu. Jamais tu ne pourras parader en tant que spécialiste. Je n’ai aucun espoir qu’à partir de ces fragments ma totalité se dégagera, une sorte d’instance me donnant mission et dont je pourrai frapper la poitrine quand je serai dans la nécessité. Sois attentif et ton corps s’envolera. De qui crois-tu que j’écris ?
Un commentateur à la télé, parlant du génie pictural de Séraphine de Senlis, disait des artistes qu’ils transforment une toile en un gros paquet d’argent. Voilà… On a tout compris. Comment t’as tort à la télé. Achète. L’art corrompt lorsque la récompense monte à la tête du vivant. Qu’est l’auteur face à son livre ? Un point de passage plus qu’un péage. Allez, je continue. Aucune rétribution ne m’arrêtera. Aucune louange ne m’offrira un meilleur ciel. On m’y prierait seulement d’arrêter. Mon siège ne peut connaître la paix qu’à l’usure. Je n’écris pas pour m’exempter du lever chaque matin. J’arrive. Du fond du néant, je brille. Comme une étoile. J’ai lu hier pour le rejoindre dès demain. J’explose les cadres de ce livre. Je suis le livre en acte. J’informe le papier de sa vacuité. Je lui donne ma parole. Le déforme. D’un coup, il s’ouvre. Une voix s’en échappe. Écoutez. Elle résonne. Elle s’insinue par vos oreilles, percute les tympans, secoue les osselets, provoque le vertige. Pourquoi croyez-vous que vous ralliez si facilement les discours universitaires, les discours des spécialistes, si cela n’était pas effrayant de lire ? Il faut bien vous raccrocher à quelque chose lorsque vous n’entendez rien à ce qui vous arrive. Et plus encore que le vertige, l’oreille recèle le mouvement. L’oreille met en marche, allez hop, plus tu lis, plus tu avances. Plus tu découvres la carte tracée par l’auteur, et plus tu trouves le moyen de t’orienter en vers et contre tous. »
(…)
« La tuberculose n’empêcha pas Kafka d’écrire d’autant plus. Des lettres plus longues. Un inlassable arpenteur. La respiration jusqu’au bout. Une œuvre tout ce qu’il y a de plus aérée. Des trous, partout. Kafka a pris le temps de s’installer, et si bas. Le roman est si vaste, comme s’il débordait du ciel (sans couleur et incertain comme aujourd’hui) et je me dilue dans la première phrase que je veux écrire. Une telle envergure, comment le corps d’un homme pourrait-il l’atteindre sans sa parole ? La parole ne connaît aucune limite. Le corps échappe à sa forme par ce qu’il oublie de dire. Sa mémoire s’inscrit à l’instant où elle se perd dans l’énonciation. »
(…)
« Quelqu’un a prononcé le nom de littérature ? Le dis cours. Trou et pourtant, pertinence. Rupture. Ça va, ça vient. Kafka et la littérature, Kafka et les femmes. Kafka et K. Mon monde s’appauvrit par le silence ; j’ai toujours senti que c’était là mon vrai malheur personnel, ne pas avoir assez de force dans les poumons pour aspirer en moi la diversité du monde, diversité qu’il possède manifestement comme nous le disent nos yeux ; maintenant je ne me donne plus cette peine, c’est une chose de moins dans mon emploi du temps et les journées n’en sont pas plus moroses. Mais je suis encore moins capable d’énoncer les choses que par le passé et ce que je dis est presque contre ma volonté. Indépendance de la parole. Kafka s’essouffle à la suivre. Impossible de la dépasser, de l’arrêter. Impossible d’écrire sans réserve de silence. La parole se ménage et prend soin du corps. Kafka n’est pas mort, et c’est peut-être son drame de n’avoir jamais su mettre un terme à quoi que ce soit. Agitation de plus en plus dense à mesure que l’écriture romanesque s’avère impossible. L’écriture le défend de mourir. Alors, ne rien brusquer. Ne rien colmater. Respirer. Le tribunal n’attend rien de toi. Il te reçoit quand tu viens et il te laisse partir quand tu t’en vas. Si l’écriture est une faveur, Kafka n’en abuse pas. Modeste face à l’impossible, il s’en fait l’allié. Elle le soutient. Lettres, journal, nouvelles, romans fragmentés. Quand elle n’est pas là, silence. De toute manière, l’écriture acte la solitude et ne la destine à personne d’autre. Pas de plainte. C’est mon apparence qui se plaint. Écriture. Rien. Zürau, Prague – liberté, travail. Maladie ? A Max Brod en 1920 : « Seul un passage dépare ta lettre. Là où tu parles de guérison. Non, il n’est plus question de ça depuis un mois. Du reste, tu as écrit Die Insel Carina. » Est-ce grave ? Il n’y rien à faire contre ça. Garder son calme. Respirer, écrire. Pas de précipitation ou de faux espoirs, la fin arrivera bien avant le terme. L’écriture lessive l’impatience, lui fait perdre ses couleurs. Les lendemains qui chantent ne tiennent pas la distance jusqu’à la mort qui reste tout le temps invisible. Qu’elle surgisse… d’où vient-elle ? La bénédiction, la délivrance, chez Kafka, arrive avec le sommeil. Alors que le corps n’a plus la possibilité de bouger, quelque chose arrive à la langue. La Métamorphose ne parle que de ça. Le Procès aussi. Le Château… A quoi bon mener au bout une expérience d’écriture si celle-ci culmine dans le silence ? J’aimerais par-dessus tout me plonger dans ce silence et ne plus en sortir. Comme j’ai besoin d’être seul et comme toute conversation me perturbe ! Kafka n’écrit pas, il discute – coupe son lien avec toute communauté. Il devine que chaque livre est une conversation privée. Tout un chacun est seul, personne ne ressemble à un autre. Cela aide aussi à rester en place. A tenir quand tout autour vise à l’effondrement des solitudes. (…) Kafka ne se jette pas sur le devant de la scène, il creuse ses galeries entre les lignes. Dans la tombe, il siffle encore. Il se repose avant l’heure, et personne ne le sait. L’écriture est toujours en cours. Pas de salut autrement que par sa propre langue. Je m’appelle Franz Kafka. Le sommeil m’a métamorphosé. Le sommeil m’a collé un procès. Le sommeil m’apporte la preuve que l’impossible a déjà eu lieu. Aujourd’hui, ils se battent en mon nom mais moi, je n’ai rien fait. J’écrirais l’angoisse de l’homme face à l’administration… Que ne lisent-ils pas allongés dans leur jardin ? Ils entendraient à quel point l’administration est loin d’eux. L’angoisse, ils la sentent face à mon sommeil. Les trous, ils les couvrent. Allez, je l’ai encore entendu cet après-midi. C’est kafkaïen. Le rêve des spécialistes. Le cauchemar de Kafka. Ah non, pardon, il dort. Quittons cet endroit sur la pointe des pieds. »
Lucien FER
Musique lien vers Venetian Snares et autres: (à faire)
Année
2012 -2013
Jeu
Zoé Allen
Charlotte Boomer
Valentine De Haaiji
Lou de Lamalle
Camille de Patoul
Xavier Fontaine
Julie Fotju
Héloise Gallée
Florence Lemercinier
Perla Owandji
Martin Thirionet
Lou Vanden Abeelen
Pauline Wouters
Textes
Kafka
Gilles Deleuze
écriture des élèves
Création sonore
Abexin Contraper
Création lumières et aide à la scénographie
Josse Derbex
Conception et mise en scène
Vanessa Bortoluzzi
Collaborations
Pascal Crochet
Rideau de Bruxelles
Centre culturel Jacques Franck
Etienne Van der Belen, comédien dans R.W 1er et 2ème dialogues, mis en scène par Pascal Crochet au théâtre Océan Nord et au Rideau de Bruxelles, a participé à la création du spectacle des élèves.
Projet lié
Création artisitique
Continent Kafka