Photographe : Serge Gutwirth

Joyo ne chante plus

Joyo ne chante plus dresse le portrait d’une jeune femme solitaire, perdue entre le réel et l’imaginaire. Elle se prénomme Lia.

Lia soliloque... elle parle à l’oiseau Joyo, au beau Youri le russe, elle harangue les voisins, la justice et le monde.

Elle ne cesse de parler, car elle a bien des choses à en dire de sa solitude, de son désir d’amour, de sa blessure de vivre, de sa capacité à s’émerveiller et se révolter aussi contre l’intransigeance du monde.

Et dans ce monologue permanent, Lia invente des langues, elle invente des musiques de mots, des façons de dire qui n’appartiennent qu’à elle.
Parler devient le lieu d’une invention inouïe, où les mots creusent et jouent sans cesse avec le sens.

Lia danse sur un fil, menacée par les voisins, la justice et par la peine épuisante de l’attente du retour de l’être aimé.


Lia flotte, divague et s’éloigne peu à peu des autres jusqu’à devenir oiseau…

Pascal Crochet

« Quelqu’un est là ? Y a quelqu’un ? Y a quelqu’un dans le monde ? Personne. Y-a-quelqu’un-personne ? Personne. Personne à la réponse, rien qu’elle, Lia, dans le grand théâtre du monde, avec ses yeux grands ouverts, 
et sa pensée qui bat, qui bat, qui bat, qui creuse avec son foret infernal au-dedans de la carrière, la crânière, la cravatière, la cafet..., le hochet. Y a quelqu’un ? N’entend rien, Lia »

« Donc,
je voudrais vous dire,
monsieur du palais de la justice,
monsieur madame du palais des grands greffés,
je voudrais vous dire à vous, monsieur,
je voudrais moi Lia, de mon nom Lia,
vous dire,
moi Lia Orkovitch, la susnommée moi,
la ci-devant, susnommée moi,
prévenue de rien,
citée à la comparution,
la susnommée ci-devant par défaut, moi,
résignée aux torts et griefs, de mon nom prénom matricule,
Orkovitch Lia, moi,
je voudrais vous dire,
monsieur le juge du palais,
en ses falbalas et ses robes,
monsieur le grand juge en ses robes à manches à palais, de la belle casuistique,
je voudrais vous dire,
moi. »

« Sans oublier dans le cloaque général les petits papiers brouillons du grodock, groshkidek, assurances tous risques, comme une petite neige qu’il n’arrête pas de faire neiger, avec son incessant tic tic tic tic, chère-madame, virgule, non-sans- considérer, virgule, chère-madame, étant-entendu-que, tic tic tic tic, suite-à- plusieurs-plaintes-répétées, virgule, en-vertu-des-règles-de, barré, jeté, vide-ordure, en-vertu-des-règles-de-bon-voisinage, souligné puis raturé, chiffonné, jeté, vide-ordure, en-vertu-des-règles-et, tic tic tic, dispositions-légales, barré : règles-et, en- vertu-des-dispositions-légales-régissant-la-vie-publique-nous-sommes-contraints, virgule, chère-madame,
tic, tic, tic,
barré, repris, remis, chiffonné,
balancé à jamais,
vide-o,
vide-ordure,
on va pas t’envoyer là-bas, mon Joyo,
dans le grand mélangeoir avec les papiers tueurs. » 

« Moi je garderai ce silence à l’intérieur,
ce sera comme une grande chambre vide
à l’intérieur,
avec parfois le vent qui entre et sort
et parfois rien,
le silence qui vient après le chant c’est plus grand encore que le chant,
mais c’est très difficile à entendre. »

François Emmanuel
Texte publié chez Actes Sud, 2014

« Si elle divague comme une vieille chouette, son pépiement s’élève dans une langue incroyablement riche, colorée, palpable, qui « chamboularde » les mots, effile les expressions et les mitraille à vous en faire saigner la bouche. La langue de François Emmanuel est un pur joyau dont on n’aurait pas poli les arêtes, son dialecte roucoule avec une gourmandise charnelle, toutes plumes dehors. Dans la peau de cette femme qui se raccroche à la vie comme un oiseau se cogne aux barreaux, Gwen Berrou est simplement sidérante. »

Catherine Makereel / Le Soir

 

« Un texte riche, musical, plein de néologismes jouissifs, qu’il faut accepter comme un fleuve « intranquille », irrationnel, drôle parfois dans son désespoir. Une mise en scène crépusculaire de Pascal Crochet, qui distribue intelligemment l’espace en quatre cases fluides, aidant à découper un texte multiforme. Enfin une performance étonnante de Gwen Berrou, qui par le corps, le visage, la voix, le chant nous fait partager la moindre émotion, aussi à l’aise dans la lenteur, le chuchotement que l’accélération rythmique ou le débordement. Du grand art ! »

Christian Jade / RTBF

Création en janvier 2014
Prix du meilleur seul en scène 2014

Distribution

Mise en scène et univers sonore
Pascal Crochet

Texte
François Emmanuel

Jeu
Gwen Berrou

Scénographie et costumes
Satu Peltionemi

Peintures décor
Geneviève Piérat

Lumières
Florence Richard

Assistante à la mise en scène & diffusion
Camille Motté

Production

Poème2