Photographe : Robert Buy

L’inquiétude d’être au monde

L’inquiétude d’être au monde est le titre d’un court texte de Camille de Toledo, publié en 2012 chez l’éditeur Verdier.  Dans une langue qui mélange les genres de l’essai philosophique, politique, historique et poétique, l’auteur interroge « l’impermanence » du siècle nouveau, où certaines références qui ont fondés nos sociétés, semblent vaciller et dès lors abandonnent les individus à l’inquiétude et au vide. 

Tout en retraçant brièvement ce que fût le XXième siècle et la pensée qui a fondé la modernité, il pose la question de notre devenir et celui de l’Europe,  à partir notamment des évènements de Utoya en Norvège en 2010, où l’extrémiste Anders Behring Breivik, au nom d’un retour à une pureté européenne, assassinat 61 personnes présentes à un congrès de la jeunesse socialiste.

Ce texte n’est pas un écrit théâtral, mais il y avait sens à le proposer à de jeunes acteurs, à les amener à porter cette langue qui d’une manière évidente pouvait croiser certaines de leurs interrogations.

A la manière de Toledo, qui n’a de cesse de revendiquer le mélange des genres, la bâtardise et le mixage des cultures, nous avons travaillé le texte tout en explorant ce que le corps avait à dire de la question de l’impermanence d’un monde en perpétuelle mutation.

Ce spectacle est un objet hybride, tendu entre un discours théorique, poétique et la matérialité et réalité des corps…dans sa fragilité et dans l’émotion de la jeunesse qui  le porte.

Pascal Crochet

« Je pense au père qui attend son enfant, le soir, et prie, en silence.  Il ne croit pas en Dieu, le père, mais il prie quand même, parce qu’il ne sait plus vers qui se tourner.  Il attend son enfant et l’inquiétude trace en lui des lignes vertigineuses, des phrases et des phrases qui racontent des histoires formidables d’enlèvements, d’accidents, de fugues et de disparitions.  Et il faut, à cet instant, le visage du père, le visage inquiet du père, les cernes sous ses yeux, le visage qui attend et prie ou espère ou simplement le père qui se replie autour de ses genoux en priant encore pour que l’enfant soit là, devant lui, sain et sauf. »

 

« Voici ce que je nomme : inquiétude.  Veille et terreur qui ne cessent de grandir en nous.
Quiétude que nous espérons, mais qui nous quitte au fil de l’âge. Impossible apaisement
dont nous protons le souvenir. »

 

« L’inquiétude est entrée dans le corps du père qui attend son fils, comme elle s’est glissée, un jour, dans le corps des choses.  C’était hier.  C’est aujourd’hui.  Ce sera plus encore demain: inquiétude de l’espèce, des espèces, de la Terre que l’on croyait si posée, qui ne cesse de se manifester sous un jour de colère, au point qu’on la croirait froissée ou en révolte.  L’inquiétude est le nom que nous donnons à l’impermanence. »

 

« A quel moment avons-nous cessé d’être en paix ?  Et que faire, maintenant que nous en sommes là, tremblants et tremblés, c’est-à-dire engagés si souvent malgré nous dans le vacillement général des choses ?  Et aussi, cette question :  Que faire des peurs que lève en nous l’inquiétude de ce qui jadis était stable, immobile ?  Suffit-il de dire à la pierre : Cesse !  Cesse de t’agiter comme un enfant malade ! pour que tout revienne… »

 

« Nous  sommes des femmes et des hommes du vingt-et-unième siècle, et nous devons, maintenant, apprendre à vivre entre les langues.  Dans l’inquiétude informe, métaphorique de toute chose.  L’effroi est au-dessus de nos têtes.  Partout, l’inquiétude.  Le tremblement au bout du jardin, et la sonnette du portillon qui annonce encore, toujours, que le temps des monstres et des catastrophes n’est pas derrière nous. »

Camille de Toledo

« Visuelles-ô combien-sont les premières évocations de « L’inquiétude d’être au monde » : un père qui attend son enfant chaque nuit ; une mère (Anna Magnani dans un film de Pasolini) dont le fils disparaît d’un manège.  Et son cri : « Ettore ! Ettore ! Terrore ! »

Cette création de Pascal Crochet au Théâtre de la Vie trouve son origine dans l’exercice qu’il proposa à une série de jeunes comédiens en fin de cursus au Conservatoire de Mons.  Ils prolongent donc l’expérience, avec toute la force de leur jeunesse, formidable chambre d’écho aux propos tenus ici. (…)

Courses et suspens, tensions et tremblements font des corps le pendant-réceptacle, réponse et tremplin- de ces mots durs et forts, tantôt poétiques, tantôt politiques, souvent tout cela à la fois.  Sombre est assurément « L’inquiétude d’être au monde », ce dénominateur commun et chaotique.  Et kaléidoscopique sa traduction scénique, au gré d’une interprétation qu’assume un joli panel de personnalités, à qui il reste un dernier choix : « supporter l’effroi ou s’en remettre au commerce de la consolation ».

Marie Baudet / La Libre Belgique

 

« Neuf comédiens fraîchement sortis du Conservatoire Royal de Mons poussent un cri d’effroi.  Ils dénoncent « l’impossible apaisement ».  S’appuyant sur un texte de Camille de Toledo, mis en scène par Pascal Crochet, les jeunes acteurs évoquent à l’unisson les dérives de l’Europe, le repli identitaire, les tendances nationalistes, le manque de communication, le racisme et bien d’autres déviances.  Le plaidoyer s’entend.  L’architecture particulière de la salle du Théâtre de la Vie, qui allie scène en contrebas et proximité des spectateurs, intensifie le discours.  Impossible de passer à côté du message dont la noirceur s’oppose au charme et à la vitalité des visages qui le portent. »

Catherine Sokolowski / Demandez le programme

 

« Vous savez cette inquiétude, ce malaise, cette torpeur, ce sentiment troublé de chute abyssale, ce qui caractérise l’Homme dans sa faille et dans son identité, parfois.  Cette inquiétude du vingt-et-unième siècle, héritée du siècle précédent.  C’est tout cela et plus encore que L’inquiétude d’être au monde évoque et dissèque.  Neuf comédiens sur scène, et une même dynamique, un texte fort et émouvant scindé en tronçons que tous se partagent.  Un même sentiment perçu et décuplé en tranches, une même frénésie. (…)

Entre les mots, des interludes musicaux chorégraphiés magnifiques : ce sont les corps qui s’agitent les uns à côté des autres ; comme un ballet aux sonorités de folie névrotique, psychotique, une gestuelle de transe qui vous foudroie mais d’une exactitude déroutante. »

Justine Guillard / Le suricate.org

Création en octobre 2014

Distribution

Jeu
Adélaïde Huet
Alizée Larsimont
Anton Kouzemin
Boriana Todorova
Brice Mariaule
François Maquet
Gaëlle Gillis
Mathieu Hanin
Michel Collige

D’après L’inquiétude d’être au monde de Camille de Toledo

Adaptation, scénographie et mise en scène
Pascal Crochet

Lumière
Sophie Ferro

Production

Théâtre de la Vie avec le soutien du Théâtre Par-delà, du Centre culturel de Frameries et Arts² Conservatoire royal de Mons